OAS : la stratégie de la terreur
« OAS frappe où elle veut, quand elle veut, qui elle veut ! » Ce slogan qui apparaît sur les murs d'Algérie en avril 1961 va bientôt se vérifier. Soutenue par la majorité des pieds-noirs, l'Organisation armée secrète multiplie actions spectaculaires et attentats. Jusque dans la métropole.
Le 7 février 1962, l'attentat dirigé par l'OAS*, l'Organisation armée secrète, contre le domicile d'André Malraux, ministre de la Culture et fidèle de longue date du général de Gaulle, fait une victime en la personne de la petite Delphine Renard. Immédiatement, la photographie de cette enfant défigurée par une bombe au plastic occupe la une de la presse qui condamne l'OAS tout entière. A compter de ce jour, les liens sont définitivement rompus entre les Français d'Algérie et la population métropolitaine : aux yeux de cette dernière, dans sa grande majorité, les pieds-noirs ne font qu'un avec l'OAS, c'est-à-dire avec des assassins.
En fait, depuis la fondation de l' OAS, un an plus tôt, une différence sensible distingue les deux branches de l'Organisation des deux côtés de la Méditerranée. En France métropolitaine, l'« OAS-métro » s'appuie sur une tradition activiste et poujadiste: elle ne trouvera jamais le soutien d'une population qui se préoccupe surtout de l'envoi des appelés dans ces départements lointains et attend la fin de la guerre avec impatience. En Algérie, en revanche, le combat d'une « OAS-Algérie-Sahara », beaucoup plus passionnelle, se confond totalement avec celui de la communauté européenne, où elle évolue « comme un poisson dans l'eau », dans une atmosphère de guerre.
En Algérie en effet, depuis l'annonce de l'autodétermination par le général de Gaulle en septembre 1959, tout a basculé. Après l'échec de la semaine des barricades, en janvier 1960, apparaît en juin un Front de l'Algérie française qui devient en l'espace de deux mois un véritable mouvement de masse. Sa dissolution en décembre 1960, à la suite de manifestations qui tournent à l'émeute, semble ne laisser aucun espoir aux partisans de l'Algérie française. Puis c'est l'échec du putsch des généraux (22-25 avril 1961) ; Challe et Zeller se rendent, tandis que Jouhaud et Salan choisissent la clandestinité. Dès lors, l'OAS apparaît comme le dernier recours. De fait, fin avril, les murs se couvrent de ses slogans : « OAS frappe où elle veut, quand elle veut, qui elle veut ! » La lutte clandestine commence.
A Madrid, deux mois auparavant, en février 1961, Pierre Lagaillarde (le «héros » de la semaine des barricades et de la prise du Gouvernement général en mai 1958) et Jean-Jacques Susini (étudiant en médecine qui avait lancé le Mouvement nationaliste étudiant et présidé l'Association générale des étudiants d'Alger) ont fondé officiellement l'OAS autour d'un petit groupe d'activistes « en cavale », déserteurs de l'armée ou civils compromis lors de la semaine des barricades. Premier mouvement dans lequel des militaires se joignent au combat mené jusqu'alors par les civils, l'Organisation accueille, lorsqu'ils n'ont pas été incarcérés, les officiers compromis au moment du putsch, qui entrent alors dans la clandestinité.
UN PETIT GROUPE D'ACTIVISTES EN CAVALE
L'OAS est constituée de trois branches principales : l'organisation des masses, dirigée par le colonel Gardes (ancien chef de l'action psychologique au sein du Cinquième Bureau), encadre la population - des responsables de secteurs y font appliquer les mots d'ordre, de grèves et de concerts de casseroles par exemple - ; l'action psychologique et politique, qui regroupe tout le travail de propagande, est confiée à Jean-Jacques Susini ; la dernière branche, organisation-renseignement-opérations, est placée sous les ordres de Jean-Claude Pérez (médecin du quartier populaire de Bab-el-Oued, à Alger, qui avait déjà eu des responsabilités importantes au sein d'un mouvement dissous en janvier 1960, le Front national français), et surtout du lieutenant Degueldre (légionnaire, ancien combattant de l'Indochine) qui constitue des groupes armés composés des éléments les plus déterminés - les commandos Delta. A la tête de l'OAS, on trouve le général Salan et, à ses côtés, pour la région oranaise, le général d'armée aérienne Jouhaud, pied-noir très apprécié par ses compatriotes.
Sont mêlés au sein de l'Organisation des civils déjà impliqués dans les différents mouvements de contestation, représentant une population qui se sent trahie, et des militaires, « soldats perdus » qui ont placé leurs convictions au-dessus de la discipline.
Tous n'ont qu'un souhait : s'opposer à la politique gouvernementale pour défendre la population française d'Algérie. Comme on peut le lire sur un tract, « c 'estpour éviter d'abandonner lâchement ceux de nos frères, ceux de nos amis qui ont cru et croient à la France que l'OAS s'est constituée et dressée contre l'abandon vulgaire». Ils développent un argument qu'ils croient imparable : il faut défendre l'intégrité du territoire telle qu'elle est définie dans la Constitution elle-même, et dont le président de la République est le garant.
Derrière l'OAS, la population a la certitude d'avoir raison : contre la majorité, contre l'incompréhension des Français de métropole, elle croit être soutenue par le droit.
« LIBERER LA FRANCE DES FOSSOYEURS QUI L'ASSASSINENT »
L'OAS se présente comme une nouvelle «Armée secrète», en référence à la résistance militaire de la Seconde Guerre mondiale : elle doit lutter contre un ennemi qui veut amputer le pays d'une partie de son territoire, « libérer la France des fossoyeurs qui l'assassinent ». Pour réussir à infléchir la politique du général de Gaulle (accusé de trahison et comme tel parfois plus détesté que les ennemis eux-mêmes), il s'agit d'obtenir le soutien de la population et de terroriser, ou tout au moins d'impressionner, l'adversaire. Des manifestations
monstres, des grèves, des actions spectaculaires sont organisées. Des publications (L'Appel de la France, Les Centurions) et des tracts sont imprimés et entretiennent le climat d'effervescence, d'affolement et de rumeurs incontrôlables qui règne en Algérie.
La première émission pirate, le 5 août 1961, à 13 h, heure des informations, et au moment même où le ministre des Affaires algériennes Louis Joxe est en tournée dans le pays, déclenche un véritable délire ; les phrases introductives («Ici radio France, la voix de l'Algérie province française ; l'OAS vous parle») deviendront vite routinières. Des « feux d'artifice » de plastic (les « stroun-gas ») explosent, provoquant un certain nombre de dégâts matériels, lors des opérations «Festival Plastic» du 19 mai 1961, du «feu d'artifice» oranais du 14 juillet.
(...)Quant aux attentats, ils sont dirigés contre des personnalités qui incarnent la politique gouvernementale, tel l'avocat Pierre Popie, réputé libéral, c'est-à-dire favorable au FLN*, assassiné à Alger le 25 janvier 1961, ou en des lieux qui paraissent totalement protégés («OAS frappe où elle veut»...).Fin 1961, il ne fait aucun doute que, dans les principales villes algériennes, la population dans sa très grande majorité suit, disciplinée, les consignes de l'OAS.
Le 24 janvier 1962, après une commémoration de la semaine des barricades par une grève générale, une directive de l'OAS prévoit une « riposte aux mesures gouvernementales » qui instaurent le couvre-feu à partir de 21 h dans les centres d'Alger, Oran, et Bône : « Notre contre-attaque doit être immédiate, progressive, dynamique, pour devenir brutale, si les circonstances l'exigent. » Le ton est donné, il s'agit de créer la panique («la psychose de la nuit») dans les rangs des forces de l'ordre, de paralyser leur action et de détacher totalement la population de l'autorité légale (...)
Le 24 janvier 1962, après une commémoration de la semaine des barricades par une grève générale, une directive de l'OAS prévoit une « riposte aux mesures gouvernementales » qui instaurent le couvre-feu à partir de 21 h dans les centres d'Alger, Oran, et Bône : « Notre contre-attaque doit être immédiate, progressive, dynamique, pour devenir brutale, si les circonstances l'exigent. » Le ton est donné, il s'agit de créer la panique («lapsychose de la nuit») dans les rangs des forces de l'ordre, de paralyser leur action et de détacher totalement la population de l'autorité légale
La rencontre des Rousses qui a lieu du 11 au 18 février 1962 entre le gouvernement et le FLN, et la perspective de la signature d'un cessez-le-feu incitent le général Salan à lancer l'insurrection générale, le 23 février. Parlant d'« accroissement à l'extrême du climat révolutionnaire dans les grands centres urbains», il donne des directives très précises, comme l'utilisation à des fins incendiaires des pompes à essence. Il prévoit de constituer des maquis qui feraient peser une menace constante sur les forces régulières, soumises dans le même temps à la pression des « masses » et des « marées humaines » qui déferleraient sur les unités de gendarmes et de CRS.
(...)
Cependant, les négociations officielles suivent leur cours et il apparaît clairement qu'il sera impossible d'empêcher la signature d'un accord avec le GPRA. Dès la proclamation du cessez-le-feu, le 19 mars 1962, le général Salan lance un appel à la résistance. Les affiches de l'OAS «Aux armes, citoyens!» remplacent celles qui annoncent l'arrêt des combats. Le lendemain, les opérations villes-mortes sont lancées : grève totale, villes désertes, sans lumière, ni gaz, ni électricité, volets clos toute la journée.
Par la suite, quelques actions spectaculaires font encore croire à la permanence de la puissance de l'Organisation et surtout, pour les Européens, à la possibilité de rester en Algérie. Mais, lorsque l'OAS décide de faire du quartier de Bab-el-Oued une zone insurrectionnelle, la situation tourne à la catastrophe. Sur l'ordre du général Ailleret, commandant en chef de l'Armée française, la zone est bouclée, tandis que les chars y pénètrent et qu'on assiste à un véritable affrontement : d'un côté l'armée et les gendarmes mobiles, de l'autre les commandos OAS et les habitants du quartier.(...)
L'OAS pratique alors la politique de la terre brûlée : puisque désormais il est impossible de rester en Algérie, certains préfèrent tout détruire. Les laboratoires de la faculté des sciences à Alger sautent, des installations des PTT sont démolies, ainsi que l'usine à gaz, le feu est mis aux réservoirs de pétrole dans les ports d'Alger et d'Oran... En métropole, les tentatives d'attentat contre le chef de l'État se multiplient jusqu'à celle du Petit-Clamart le 22 août.
Au total, le combat de l'OAS en Algérie fut un échec. Prise dans un processus qui la dépassait, l'Organisation n'a pu éviter l'exode brutal de la population pied-noir, accueillie dans l'indifférence - et la méfiance, car on la croyait complice, dans son ensemble, de ces comportements terroristes. Elle n'a pu en outre empêcher la fin de l'Algérie française. Totalement démantelée, elle n'a pas survécu, même si elle n'a pas été officiellement dissoute, à l'indépendance de l'Algérie.
Marie Dumont dans mensuel 231 L'Histoire daté avril 1999