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Brigitte Grésy : « Le sexisme est partout »

Tribune

A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la haute fonctionnaire, dénonce, dans une tribune au « Monde », les multiples manifestations du sexisme dans la société, et rappelle les outils à disposition des politiques publiques pour y faire face.

Tribune. Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) vient de publier son troisième rapport sur l’état du sexisme en France, à quelques jours du 25 novembre, Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cet exercice, indispensable, a encore quelques belles années devant lui. Car le sexisme est partout (« Rapport annuel 2020-2021 sur l’état du sexisme en France », par Brigitte Gresy, Sylvie Pierre-Brossolette et Juliana Bruno, voir PDF).

Agent infiltré dans les institutions et les relations interpersonnelles, se couvrant des oripeaux de l’hostilité ou de la fausse bienveillance, il agit toujours de la même façon : il disqualifie les femmes, les infériorise, voire les infantilise, actionnant cette « valence différentielle des sexes » dont nous parle l’ethnologue et anthropologue Françoise Héritier (1933-2017).

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Fondé sur une idéologie qui érige la supériorité d’un sexe par rapport à l’autre, il se manifeste sous forme de violences sexistes et sexuelles mais conduit aussi à de nombreuses formes de discriminations, redoublées par de multiples discriminations, liées notamment à l’origine, à l’âge, au handicap. Il se dérobe et se cache. Comment le démasquer ?

Regard glauque

Il est dans la blague lourde à la machine à café qui ouvre la voie aux prédateurs et autorise la parole qui harcèle et le geste qui agresse ; il est dans la remarque au commissariat ou à la gendarmerie sur la jupe trop courte en cas de viol ou sur le « vous avez pensé à votre mari ? » en cas de violences conjugales ; il est dans les crimes de propriétaire que sont les féminicides perpétrés par des hommes pour qui les femmes sont leur chose ; il est dans les multiples classements sans suite des juges ; il est dans le regard glauque et l’apostrophe glaçante dans la rue qui rétrécissent les femmes alors même qu’une œillade de désir ou un regard de bienveillance illuminent le temps qui passe ; il est dans la peur du soir qui tombe.

Il est dans la dévalorisation des métiers de services à la personne, exercés par les premières de cordée au motif que les compétences requises leur seraient naturelles, et dans le choix de sous payer les métiers de l’humain et de survaloriser les métiers de l’argent ; il est dans le temps partiel, les bas salaires, le sous-emploi, les retraites au rabais, majoritairement subis par les femmes ; il est dans le télétravail bancal où monsieur dispose d’une « chambre à soi » et madame d’un coin de table dans la salle commune.

Il est dans l’inégal partage des charges domestiques, parentales et des charges mentales et émotionnelles ; il est dans le recours insuffisant des pères aux congés de paternité et parental ; il est dans le refus du partage du pouvoir, dans cette frilosité de la loi à venir sur l’égalité économique et professionnelle qui réserve aux seules entreprises de plus de mille salariés, dans un délai de dix ans, les quotas du sexe sous-représenté dans les instances de décision, marchandés de surcroît par un passage à la trappe de l’équité salariale, seul moyen d’appliquer le principe du salaire égal pour un travail de valeur égale.

Il est dans la masculinisation de la langue depuis le XVIIe siècle alors même que fleurissaient auparavant, côte à côte, féminins et masculins, maire et mairesse, auteur et autrice, dans une facilité des accords avec le mot le plus rapproché, sans qu’il soit besoin de la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin et sans péril mortel pour notre langue, laquelle doit mettre à égalité citoyennes et citoyens, et donner à chacun et chacune les mêmes outils pour vivre leur vie et bâtir leur avenir.

Dégoulinade de bleu et de rose

Il est dans l’invisibilité des femmes dans les arts et les lettres, dans l’effet Matilda pour les femmes de sciences, souvent dépossédées de la maternité de leurs recherches, et dans le tunnel des femmes artistes de plus de 50 ans ; il est dans la sous-représentation des femmes dans les médias, criante au début de la pandémie, constante en toutes circonstances, comme en témoigne notre nouveau rapport du HCE sur la presse écrite où 77 % des éditoriaux sont écrits par des hommes et où les femmes représentent 23 % des personnes mentionnées dans les articles.

Il est dans la dégoulinade de bleu et de rose dans les jouets de Noël à venir. Il est dans les injonctions faites aux femmes d’être belles jusqu’à la mort qui ouvrent la voie aux oukases de minceur qui corsètent et aux injections qui défigurent ; il est dans le refus d’accorder deux semaines supplémentaires pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et dans l’exercice d’une recherche et d’une médecine qui prennent insuffisamment en compte le sexe et le genre ; il est dans la souffrance des excisions et dans l’horreur des viols de guerre.

Il est partout. Et pourtant les femmes sont puissantes, lumineuses et refusent d’être des victimes. Les outils à disposition des politiques publiques sont connus : compter, évaluer, financer, sanctionner. Leur usage devrait être à la hauteur des enjeux.

Brigitte Gresy, haute fonctionnaire, est l’autrice de « La Vie en rose. Pour en découdre avec les stéréotypes » (Albin Michel, 2014) et de « Le Sexisme au travail, fin de la loi du silence ? » (Belin, 2017). Brigitte Gresy(Haute fonctionnaire), Le Monde, 25 novembre 2021.
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Le sexisme, un phénomène bien établi mais encore trop peu combattu

Selon une étude publiée par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE), 88 % des sondés reconnaissent que les femmes subissent des inégalités de traitement.

Une manifestation organisée par le collectif
NousToutes
à Toulouse, le 21 novembre 2021. VALENTINE CHAPUIS / AFP

Quatre ans et demi après la déferlante

metoo
, comment les Françaises et les Français perçoivent-ils le sexisme ? A cette question, le premier baromètre sur le sexisme présenté lundi 7 mars par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) livre plusieurs niveaux de réponses.

C’est un phénomène massif, d’abord, considèrent les quelque 3 000 personnes de 15 ans et plus interrogées dans ce sondage Viavoice. En effet, 88 % estiment que les femmes subissent des inégalités de traitement dans au moins un des espaces de la société (sphère intime, espace public, vie professionnelle). Ce constat s’accompagne d’une préoccupation partagée : près des trois quarts du panel s’accordent à dire que la prévention et la lutte contre le sexisme doivent être des sujets prioritaires pour les pouvoirs publics. D’autant que les actes et les propos sexistes sont en augmentation ces dernières années, selon 53 % d’entre eux.

Ces situations poussent les femmes qui en sont victimes à adopter plusieurs stratégies d’évitement : une sur deux affirme censurer ses propos pour éviter de s’y exposer, la même proportion renonce à effectuer seule un certain nombre d’activités (aller au restaurant, voyager…) ou encore ne s’habille pas comme elle le souhaite par crainte de regards ou de commentaires.

Le sujet est donc perçu comme important, selon cette première salve de réponses du baromètre. Mais, dans le même temps, interrogés sur leur définition du sexisme et invités à identifier ses manifestations dans leur quotidien, les sondés livrent, cette fois, des réponses plus hésitantes. A titre d’exemple, pour 42 % des répondants, un homme qui commente la tenue vestimentaire d’une femme ne traduit pas forcément une situation sexiste. Et seul un Français sur deux reconnaît les féminicides comme le meurtre singulier d’une femme directement lié à sa condition de femme.

Sur les violences sexuelles, une ambivalence inquiétante

« L’enseignement phare de ce baromètre, c’est avant tout l’absence de clarté et de précision dans la définition du sexisme et ce qu’il recouvre », pointe donc le HCE dans son quatrième rapport annuel sur l’état du sexisme en France, qui accompagne le baromètre. Pour éclaircir ce « flou originel », l’institution chargée de promouvoir l’égalité femmes-hommes dans les politiques publiques rappelle que « le sexisme est une idéologie qui repose sur le postulat de l’infériorité des femmes par rapport aux hommes, d’une part, et d’autre part, un ensemble de manifestations des plus anodines en apparence (remarques) aux plus graves (viols, meurtres). Ces manifestations ont pour objet de délégitimer, stigmatiser, humilier ou violenter les femmes et ont des effets sur elles (estime de soi, santé psychique et physique, exclusion de nombreuses sphères et modification des comportements) ».

Selon Sylvie Pierre-Brossolette, la nouvelle présidente du HCE, cette première édition du baromètre révèle ainsi « un important décalage entre la demande forte de combattre le sexisme qui émane de la société et la persistance de ses manifestations ». Ce hiatus touche toutes les tranches d’âge, mais sur la question des violences sexistes et sexuelles, certaines réponses des jeunes générations sont particulièrement préoccupantes.

Davantage sensibilisés aux enjeux d’égalité que leurs aînés, mais aussi davantage exposés à certaines manifestations sexistes – 20 % des jeunes femmes de moins de 34 ans déclarent dans le baromètre avoir été victimes de viol ou d’agression sexuelle, contre 13 % en moyenne –, les jeunes gens font preuve d’une ambivalence inquiétante. Interrogés sur diverses situations de viol, ils ont tendance à atténuer la gravité des faits, comme le rappelle le HCE en mentionnant la troisième enquête de l’association Mémoire traumatique et victimologie (MTV) faite par Ipsos sur la représentation du viol au sein de la population française, publiée le 1er février 2022. Près d’un quart des 18-24 ans y considèrent que, lorsqu’une femme dit « non » pour une relation sexuelle, cela veut dire « oui », contre 11 % de l’ensemble des Français.

Sans surprise, la réponse varie selon qu’on soit un garçon ou une fille. Ainsi, forcer sa partenaire à avoir un rapport sexuel alors qu’elle refuse est perçu comme un viol par seulement 59 % d’hommes de 18 à 24 ans, contre 82 % de femmes de la même tranche d’âge. Pénétrer son partenaire avec les doigts alors qu’il ou elle dit « non » est un viol pour seulement 58 % des jeunes hommes, contre 89 % des jeunes femmes.

Face à ces réponses, « il faut engager un énorme effort d’éducation à la vie affective et sexuelle dès le plus jeune âge », insiste Sylvie Pierre-Brossolette. C’est l’une des trois recommandations principales du HCE dans cette publication, avec la nécessité de renforcer la lutte contre l’impunité des violences sexistes et sexuelles, ainsi que l’exigence, dans le domaine du travail, du conditionnement des financements publics dans l’économie à des engagements forts et tangibles pour l’égalité et la parité.

Solène Cordier, Le Monde, 7 mars 2022.
Brigitte Grésy : « Le sexisme est partout »
TRIBUNE. A l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la haute fonctionnaire, dénonce, dans une tribune au « Monde », les multiples manifestations du sexisme dans la société, et rappelle les outils à disposition des politiques publiques pour y faire face.
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