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"Génocide", crimes "de guerre" ou "contre l’humanité"… Quels mots pour la guerre Israël-Hamas ?


Depuis l'explosion de violence du 7 octobre, Israël et le Hamas s'accusent mutuellement d’enfreindre le droit international. Alors que les termes "génocide", "crimes de guerre" et "crimes contre l'humanité" sont utilisés pour décrire les actes meurtriers perpétrés par les deux camps, France 24 fait le point sur la signification juridique de ces trois termes

La guerre entre le Hamas et Israël a commencé il y a deux semaines et aucune éclaircie ne semble percer le brouillard du conflit.

Depuis le début des combats le 7 octobre, plus de 1 400 Israéliens et 4 000 Palestiniens ont été tués. Plus de 200 Israéliens sont toujours retenus en otage par le Hamas et, selon l'ONU, près de la moitié de la population de Gaza a été déplacée.

Au milieu de cette violence incessante, des appels à respecter les règles de la guerre ont été formulés et répétés par nombre d'organisations et de dirigeants internationaux.

Le 10 octobre, la Commission d'enquête de l'ONU a déclaré "collecter et conserver des preuves de crimes de guerre commis par les deux parties". Ce même jour, le président américain Joe Biden a qualifié l'attaque du Hamas en Israël d'acte de "terrorisme", affirmant qu'elle avait "réveillé des souvenirs douloureux et rouvert des plaies creusées par des millénaires d'antisémitisme et de génocide du peuple juif".

Trois jours plus tard, l'ambassadeur palestinien à l'ONU, Riyad Mansour, a appelé l'organisation internationale à faire davantage pour empêcher Israël de commettre un "crime contre l'humanité".

Plus récemment, le 18 octobre, des centaines de manifestants propalestiniens se sont réunis devant le siège de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye (Pays-Bas), exigeant des mesures contre ce qu'ils appellent un "génocide contre les Palestiniens".

Entre tous ces termes, il n'est pas toujours facile de savoir lesquels peuvent correspondre à ce qui se joue aujourd'hui au Proche-Orient. France 24 passe en revue les définitions de ces mots ainsi que la façon dont ils peuvent s’appliquer aux actes meurtriers perpétrés par le Hamas et Israël ces deux dernières semaines.

Crimes de guerre

Selon la définition des Nations unies, un crime de guerre est une action illégale ou une série d'actions qui violent le droit international humanitaire prévu pour protéger les civils.

Les crimes de guerre sont toujours commis intentionnellement et ont toujours lieu en temps de conflit armé, qu'il soit international ou non international.

Ils peuvent être divisés en plusieurs catégories : les crimes qui ciblent des personnes ayant besoin de protection, comme les blessés ou les civils ; ceux qui ciblent les efforts humanitaires ou les opérations de maintien de la paix ; enfin, ceux qui ciblent des biens.

Les crimes de guerre peuvent aussi être des infractions aux "méthodes ou moyens de guerre interdits", parmi lesquels le meurtre volontaire, la mutilation, la torture, la prise d'otage et les attaques intentionnelles contre la population civile.

Commettre un crime de guerre, c'est aller à l'encontre des règles de la guerre telles qu'elles ont été énoncées dans plusieurs traités comme les conventions de Genève, adoptées entre 1864 et 1949, les conventions de La Haye (1899 et 1907) et le Statut de Rome (1998).

Le but des conventions de Genève est de protéger les civils qui ne sont pas impliqués dans les combats. La première convention (1864), dont les négociations ont été initiées par le fondateur de la Croix-Rouge, Henri Dunant, a été ratifiée par toutes les grandes puissances européennes de l'époque en trois ans. Aujourd'hui, elles le sont par l'ensemble des États membres de l'ONU.

"La guerre est toujours inhumaine", affirme Marco Sassoli, professeur de droit international à l'université de Genève. "Mais si le droit international humanitaire était respecté, ce serait moins inhumain."

Pour lui qui a également participé à la rédaction de tous les commentaires récents des conventions de Genève, les attaques du Hamas menées pendant le festival de musique Tribe of Nova dans le désert près de la frontière de Gaza "constituent une violation claire" du droit international et un crime de guerre.

"Les gens ne peuvent pas être exécutés, pris en otage, et seuls des objectifs militaires comme des lance-roquettes et les centres de commandement et de contrôle peuvent être ciblés", note l'universitaire.
Mais l'aboutissement judiciaire de crimes comme ceux-ci est un processus long et laborieux. Il faut des années d'enquêtes approfondies et de litiges, et les décisions sont souvent prises des décennies après la fin d'un conflit.

En 2012, par exemple, l'ancien président du Liberia, Charles Taylor, a été condamné à 50 ans de prison pour les atrocités qu'il a commises durant la guerre civile en Sierra Leone dans les années 1990.

Le principal organe chargé de traduire les individus responsables de crimes de guerre, la CPI, a été créée en 2002 avec le Statut de Rome. Toutefois, certaines affaires sont parfois portées devant des tribunaux spéciaux créés par les Nations unies.

Les méthodes utilisées pour enquêter sur les crimes de guerre sont les mêmes que celles utilisées pour examiner toute activité criminelle. Parmi elles, interroger des témoins, visionner des séquences ou des images, et recueillir des preuves au moyen d'analyses, d'autopsies ou de tests ADN.

Mais le plus difficile à prouver est souvent l'intention d'un dirigeant donné, ce qu'il savait et s'il est directement responsable de ce qui s'est passé.

"Le problème de la justice internationale est qu'elle est extrêmement lente", déclare Johann Soufi, avocat international et ancien chef du bureau juridique de l'UNRWA – l'agence des Nations unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient – qui a vécu trois ans à Gaza. "[Mais] son grand avantage est aussi d'être extrêmement patiente."
Crimes contre l'humanité

À la différence des crimes de guerre, les crimes contre l'humanité n'ont pas nécessairement à avoir lieu dans le contexte d'un conflit armé, ni d'être basés sur une intention spécifique globale.

Ils n'ont pas été définis et codifiés dans un traité dédié comme l'ont été les crimes de guerre dans les conventions de Genève, bien que l'ONU espère aboutir à un traité sur le sujet.

Pourtant, les crimes contre l'humanité sont considérés comme des violations fondamentales du droit pénal international et "parmi les crimes les plus graves", selon la CPI.

Les crimes contre l'humanité incluent notamment l'apartheid – système d'oppression et de domination d'un groupe racial sur un autre, institutionnalisé à travers des lois, des politiques et des pratiques discriminatoires –, l'esclavage ou la déportation de populations, et se déroulent dans le contexte d'une attaque généralisée et systématique contre une population civile.

Ils se définissent par leur violence à grande échelle, que ce soit en termes de population ou de géographie, ou par la manière méthodique avec laquelle ils sont menés. Et ils ont tendance à être planifiés, ou du moins tolérés, par les autorités étatiques.

Ainsi, si un acte est commis au hasard, accidentellement ou de manière isolée, il ne peut être considéré comme un crime contre l'humanité.

Dans ce qu'elle dit être une réponse aux attaques du Hamas, l'armée israélienne a rasé des quartiers entiers de la bande de Gaza et se prépare pour une intervention terrestre qui, selon elle, est imminente. Les autorités israéliennes ont par ailleurs averti la population du nord de l'enclave d'évacuer vers le sud. Une décision "inacceptable au regard du droit humanitaire", juge Marco Sassoli.

"Si les autorités israéliennes avertissent [les habitants d'une] maison située à côté d'un centre de commandement et de contrôle [qu'il va être visé par une frappe], alors cet ordre d’évacuation est le bienvenu", dit-il. "Mais vous ne pouvez pas avertir la moitié de la bande de Gaza [qu'il faut évacuer]… Un déplacement forcé à l’intérieur d’un territoire occupé ne peut être justifié dans ce cas."

La date de la première occurrence du terme de "crime contre l’humanité" est incertaine, mais selon les experts des droits humains, il a été utilisé pour la première fois au XVIIIe siècle dans le contexte de la traite des esclaves et du colonialisme européen.

Au fil des ans, la définition des crimes contre l’humanité a évolué dans le cadre du droit international coutumier – constitué de règles provenant d'une "pratique générale acceptée comme droit" et existant indépendamment du droit conventionnel – et dans les tribunaux internationaux comme la CPI, et de nombreux pays ont intégré ces crimes dans leur droit national.

Comme les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité sont généralement poursuivis par la CPI, mais leurs auteurs peuvent également être jugés dans certaines juridictions nationales en vertu du principe de compétence universelle permettant à tous les États de poursuivre et de punir les criminels de guerre.

Là encore, rendre justice aux victimes de crimes contre l’humanité est un processus ardu et décourageant. "Les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ne sont pas perpétrés par des États et des groupes armés, mais par des individus. Il est donc beaucoup plus difficile d’identifier l’individu responsable", explique Marco Sassoli.

Difficile mais pas impossible. Une affaire historique jugée par le tribunal spécial des Nations unies pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a établi la responsabilité de Dusko Tadic – un ancien paramilitaire impliqué dans l’attaque sur Prijedor durant la guerre de Bosnie – et l'a condamné. Il s’agit du tout premier procès pour violences sexuelles contre des hommes, qui a mené à la condamnation de Dusko Tadic à vingt ans de prison.
Génocide

Le terme a été inventé en 1943 par Raphael Lemkin, un avocat polonais qui avait été témoin des massacres perpétrés par les nazis durant l’Holocauste, et qui a passé sa vie à faire campagne pour que le mot soit codifié comme un crime international. Ce terme – composé du préfixe grec "genos", signifiant race ou famille, et du suffixe latin "cide", signifiant tuer – a été reconnu pour la première fois par les Nations unies comme un crime en droit international en 1946. Il a ensuite été codifié dans la Convention sur le génocide, en 1948.

Tout comme les crimes contre l’humanité, le génocide peut être commis par le biais de différents actes, à l’instar du meurtre, des atteintes graves à l’intégrité physique et mentale, ou encore de transferts forcés d’enfants.

Mais pour que ces actes soient qualifiés de génocide, ils doivent être commis "avec l’intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux". Ce qu’il s’est passé durant l’Holocauste est considéré comme un génocide contre les juifs. Une qualification également retenue par les Nations unies pour les atrocités commises au Rwanda (par les Hutu à l’encontre des Tutsi), et par une partie de la communauté internationale pour celles perpétrées en Arménie (ordonnées par le gouvernement jeune-turc au pouvoir à l’époque dans l’Empire ottoman).

Ce qui singularise le génocide est qu’il peut aussi bien être perpétré dans le cadre d’un conflit armé qu’en temps de paix, bien que cela soit moins commun. De nouveau, l’intention est l’élément le plus difficile à poursuivre.

Bien que les manifestants propalestiniens autour du globe se soient rassemblés sous la bannière "Stop génocide", Marco Sassoli reste très prudent pour qualifier les frappes israéliennes sur Gaza. "Nous ne devrions pas utiliser un terme aussi grave", estime-t-il.

En mars 2021, la CPI a ouvert une enquête formelle sur des crimes de guerre présumés dans les Territoires palestiniens occupés au cours de la guerre de Gaza de 2014, une décision ardemment contestée par Israël. Bien que l’État hébreu ne fasse pas partie des 123 États membres de la Cour, les Territoires palestiniens, eux, en font partie.

"Dans un monde idéal, nous n’aurions jamais besoin du droit humanitaire, parce que le droit humanitaire ne s’applique qu’aux conflits armés. Et dans un monde de droit, il n’y aurait pas de conflits armés."

France 24 , Laura Bullens , 21/10/2023


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