La Chine face au monde : une puissance résistible
Par Emmanuel LINCOT, Emmanuel VERON, Pierre VERLUISE, le 26 novembre 2021
La Chine cherche à sanctuariser ses intérêts et ce, dans une logique néo-impériale. Quitte, au même titre que la Russie, à réécrire l’histoire pour légitimer ses ingérences dans le sud de la mer de Chine, ses incursions en territoire indien voire en renforçant sa présence comme au Tadjikistan, en Asie centrale. Dans tous les cas de figure, il s’agit de se ménager une profondeur stratégique. Elle remet en cause l’ordre international et bouscule les agendas diplomatiques en créant, d’une manière systémique et récurrente, des risques d’affrontements ; Taïwan étant le point nodal de ces confrontations [...]
Un schéma stratégique se dessine, basé sur ses imposantes capacités commerciales et économiques, elles-mêmes encadrées par une politique étrangère, assumée et toujours plus active entre le début des années 1990 et l’accession au pouvoir de Xi Jinping (2012). La Chine est à la fois le moteur d’une intégration économique régionale (entre l’institutionnel et le fonctionnel) à travers une politique commerciale offensive et l’arbitre de potentiels conflits régionaux par le retour affirmé de sa souveraineté territoriale. Cette politique évolutive depuis 30 ans a pour ambition de limiter la présence diplomatique et militaire américaine, afin de se forger un leadership en Asie. Malgré les très nombreuses incertitudes géopolitiques (sécurité, prolifération, litiges territoriaux), Pékin tisse un réseau diplomatique et politique (« diplomatie de partenariats » huoban guanxi), économique et commercial (intégration régionale) et culturel (langue et confucianisme) au service d’une souveraineté puissamment réaffirmée.
La RPC réorganise l’Asie à sa faveur depuis le slogan de Deng Xiaoping « fuir la lumière et rechercher l’obscurité » (taoguang yanghui), prônant la « multipolarisation » (duojihua) et une « émergence pacifique » (heping jueqi) (présidences Deng Xiaoping, Jiang Zemin et Hu Jintao) avec aujourd’hui, la construction du projet BRI, inauguré par Xi Jinping (2013). Ce dernier, porté par une « diplomatie multilatérale » (duobian waijiao), a pour ambition première de remodeler les routes commerciales eurasiatiques au départ de la Chine en connectant l’Asie centrale, la Russie et l’Europe. Plusieurs leviers institutionnels y pourvoient et notamment l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Elle constitue une forme originale d’intégration régionale basée sur la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme religieux et le séparatisme. Initiée par Pékin et Moscou afin de stabiliser et de limiter l’influence occidentale en Asie centrale, l’OCS est un outil diplomatique pleinement investi par la RPC comme espace de dialogue et d’influence, de commerce et de coopération militaire [...]
La Chine cherche avec sa stratégie de « grand pays » (daguo waijiao zhanlüe), à consolider sa fragile puissance globale, quitte à redessiner l’ordre mondial. Pékin structure fortement l’avenir de son voisinage pluriel, en concurrence avec la présence américaine dans la région.[..]
Le PCC contrôle la diplomatie. Il voit dans l’Occident un concurrent majeur mais aussi un levier pour servir sa puissance et son dessein d’expansion. Si sous Mao, le PCC dans sa composante politique internationale se cherchait (une voie avec l’Occident), notamment dans le cadre de la Guerre froide, le tournant stratégique se fait avec Deng Xiaoping dès 1979. Le lancement des réformes économiques et l’ouverture progressive du pays au reste du monde s’accompagne d’une adaptation du discours, d’un travail d’influence et de bonification de l’image de la Chine (et du régime ?) auprès des Occidentaux. 1989 marque un temps d’arrêt, relativement court puisque sous l’égide du PCC, la relance des réformes attire l’Occident, dans sa totalité en Chine. C’est en cela une victoire stratégique du régime : transferts de technologies, modernisations accélérées et excédents commerciaux importants… jusqu’aux vapeurs de l’espionnage…
Aujourd’hui, la défiance semble avoir pris la place d’un processus qui disons le paraissait pleinement euphorique (années 1990 à 2012-2013). Le bruit des « Loups guerriers », les tactiques du Front Uni, l’incapacité de la diplomatie du PCC a incarner le costume de la puissance globale conduisent à une dégradation avancée des relations. Aussi, Pékin souhaite souffler sur les braises d’un anti-occidentalisme affiché, dans les pays non-occidentaux et au sein des sociétés démocratiques et libérales afin de travailler l’opinion[...]
La Chine vise un système qui lui soit naturellement favorable. La pandémie de COVID-19 a été de ce point de vue illustrative de la capacité déployée par Pékin de neutraliser certaines instances internationales comme l’OMS. Neutraliser ces instances par l’élection de ses propres hauts fonctionnaires ou des hommes liges issus des pays du Tiers-Monde, revient à s’imposer. Tâche d’autant plus aisée que les Etats-Unis ont pratiqué la politique de la chaise vide. Les absents ont toujours tort. A cela s’ajoute la création de nouvelles organisations internationales par la Chine qui sont autant d’alternatives au système hérité de l’après-guerre que la Chine nationaliste, soit dit en passant, avait largement contribué à construire. Ces organisations sont les BRICS, l’Organisation de Coopération de Shanghai ou des institutions bancaires comme la BAII qui contribue largement au financement des projets des Nouvelles Routes de la Soie. Les initiatives chinoises s’inscrivent dans la continuité des revendications de Bandung (1955) : parler d’une seule voix au nom des pays du Sud, et contre l’Occident naturellement. Aux Occidentaux de trouver eux-mêmes des alternatives par une réforme des instances onusiennes donnant à l’Inde ou certains pays d’Afrique davantage de poids pour éviter ainsi qu’ils ne soient tentés à leur tour par une surenchère anti-occidentale.