Dans une tribune au « Monde », le directeur de recherche au CNRS conteste la pertinence de la réforme de la nationalité souhaitée par le gouvernement et rappelle que ce qui guide la migration dans l’archipel, c’est d’abord la survie, pas le droit du sol.
A Mayotte, depuis une loi de 2018, il lui faut en outre prouver que l’un des parents résidait en France au moment de sa naissance, en situation régulière depuis au moins trois mois. Autant dire que les accédants à la nationalité y sont devenus plus rares. Cela n’a pas empêché des milliers de femmes de continuer de venir accoucher à Mayotte et de nombreux jeunes d’y débarquer. Si ce département est très pauvre au regard de notre moyenne nationale, il est dix fois plus riche que les îles comoriennes voisines. Ce qui guide la migration à Mayotte, c’est d’abord la survie, pas le droit du sol. C’est cette vérité qu’il faut avoir le courage de dire aux Mahorais. Tout l’inverse de ce que le président choisit de faire en proposant de modifier la Constitution, au risque d’un chaos politique, civique et constitutionnel. Politique, parce que sous le prétexte de Mayotte, c’est la suppression du droit du sol ou son statut dans l’ensemble de la République qui sont désormais à l’ordre du jour. C’est ce que réclament deux dirigeants des Républicains, Eric Ciotti, leur président, et Gérard Larcher, président du Sénat. Or, sans les voix des députés et sénateurs de ce parti, Emmanuel Macron ne peut faire adopter son projet de réforme constitutionnel.
Le droit du sol qui permet à l’enfant d’un étranger né et résidant en France de devenir français est présent dans notre droit depuis 1515. Quand, en 1889, s’y ajoute le double droit du sol, le principe devient un fondement de la République. Il s’applique progressivement et de plus en plus fermement au fil des générations : à la deuxième génération, l’enfant né et éduqué en France devient français à sa majorité, mais il peut encore, s’il le veut, renoncer à l’être ; à la troisième génération, il l’est irrémédiablement dès sa naissance. Sans intervention du droit du sol, les enfants d’étrangers, restant étrangers, échappent au service militaire. Il faut, au nom du principe d’égalité, supprimer ce passe-droit.
La République craint aussi que, sans intervention du droit du sol – les enfants d’étrangers restant étrangers génération après génération –, des enclaves étrangères ne se développent sur le territoire national, réclamant la protection diplomatique du pays d’origine, puis son intervention, et enfin la séparation de leurs territoires d’avec la France. Le droit du sol permet ainsi d’assurer la souveraineté incontestable de la République sur des jeunes devenus français.
Ce droit du sol républicain est tellement au fondement de notre identité nationale que même Vichy n’ose pas y toucher dans son projet de réforme antisémite de la nationalité, en 1943. Le maintien du droit du sol déclenche le veto de Berlin. L’Allemagne nazie refuse le projet du gouvernement de Pétain, car le droit du sol rendrait français les enfants de soldats allemands avec des Françaises et certains enfants juifs.
C’est enfin par le droit du sol que la très grande majorité des Français peuvent aujourd’hui prouver qu’ils sont français lors des demandes de carte d’identité ou de passeport. Même quand on est français par filiation, parce qu’on a un père ou/et une mère français, si l’on n’est pas né en France d’un parent né en France, on ne peut pas aisément démontrer sa nationalité. Remettre en cause le droit du sol, ce serait déstabiliser dans leur vie quotidienne des dizaines de millions de Français, sans compter notre administration.Plutôt que de poursuivre un projet inutile et dangereux qui porterait atteinte à l’indivisibilité de la République sur laquelle sa fonction l’oblige de veiller, Emmanuel Macron devrait dire aux Mahorais et à tous les Français la vérité sur la nationalité, celle que la raison commande. Et travailler, sans perdre de temps, à toutes les urgences diplomatiques, économiques et sécuritaires que la tragique et complexe situation de Mayotte exige.
Patrick Weil (Historien et politologue, directeur de recherche au CNRS), publié dans le journal Le Monde le 20 février 2024.